Qu’est-ce que la psychanalyse aujourd’hui ?
- L. Saurel
- 28 nov. 2024
- 8 min de lecture

À l’heure où les défis psychiques prennent de nouvelles formes – burn-out, écoanxiété, solitude – la psychanalyse reste un espace unique pour explorer en profondeur ce qui nous traverse. Pourtant, elle continue de susciter des controverses. Que reste-t-il aujourd’hui de cette discipline qui a révolutionné la compréhension de l’esprit humain ?
Définir la psychanalyse : une méthode et une théorie
La psychanalyse, fondée par Sigmund Freud au début du XXe siècle, est à la fois une théorie du psychisme, une méthode d’investigation de l’inconscient et une pratique thérapeutique.
Trois piliers fondamentaux de la psychanalyse :
L’inconscient :
L’inconscient est une partie de notre esprit inaccessible à notre conscience, où sont enfouis des pensées, des désirs et des souvenirs. On dit qu'ils sont refoulés.
Il influence nos comportements, nos émotions et nos décisions sans que nous en ayons pleinement conscience, mais se manifeste parfois plus distinctement à travers les rêves, les lapsus ou les actes manqués.
Le transfert :
Il s'agit de la relation singulière qui se tisse entre le patient et le psychanalyste.
Il s'agit d'un outil qui permet d'explorer les dynamiques inconscientes du patient qui viennent se rejouer sur la scène de cette relation.
Une parole non censurée :
À travers l’association libre (le fait de dire tout ce qui vient à l’esprit), le patient accède à des contenus refoulés.
Les attaques contemporaines contre la psychanalyse
La psychanalyse, malgré son rôle pionnier dans la compréhension de la psyché humaine, est une discipline parfois controversée. Voici les principales critiques actuelles et les réponses qu’elles appellent :
Critique 1 : "La psychanalyse manque de validation scientifique."
On reproche à la psychanalyse de ne pas être testable selon les critères des sciences modernes, notamment l’expérimentation et la falsification. Ce débat a été amplifié par les arguments de Karl Popper, qui l’a qualifiée de "pseudoscience" en raison de son caractère non falsifiable.
Réponse : Cette critique repose sur une méconnaissance des fondements de la psychanalyse. Si elle ne répond pas aux méthodologies scientifiques traditionnelles, ce n’est pas par défaut, mais parce qu’elle se situe dans un paradigme différent. La psychanalyse appartient à un paradigme qui diffère des sciences expérimentales. Elle ne mesure pas des phénomènes objectifs mais explore des dimensions subjectives, demandant des méthodes qualitatives adaptées.
Par ailleurs, des travaux contemporains, comme ceux de Mark Solms (2000), montrent des correspondances entre les concepts psychanalytiques et les découvertes neuroscientifiques, notamment sur la mémoire implicite et les processus inconscients. De même, dans Ce que les psychanalystes apportent à la société, les auteurs montrent comment les concepts psychanalytiques sont enrichis par des collaborations interdisciplinaires avec les sciences cognitives et les neurosciences, réaffirmant leur pertinence dans la compréhension des mécanismes psychiques.
Source :
Solms, M. (2000). "Dreaming and REM sleep are controlled by different brain mechanisms." Behavioral and Brain Sciences, 23(6), 843-850.
Keller, P.-H., Landman, P, (2019). Ce que les psychanalystes apportent à la société, Toulouse, Érès.
Critique 2 : "Elle est moins efficace que d’autres thérapies."
Certaines méthodes thérapeutiques, qui bénéficient de nombreuses études quantitatives démontrant une efficacité à court terme, et sont prétendues comme supérieures à la psychanalyse.
Réponse : La psychanalyse ne se limite pas à réduire les symptômes mais cherche à transformer les structures inconscientes qui en sont à l’origine, offrant ainsi des bénéfices durables, comme le montre la méta-analyse de Leichsenring et al., (2008).
Source : Leichsenring, F., & Rabung, S. (2008). Effectiveness of long-term psychodynamic psychotherapy: A meta-analysis. Journal of the American Medical Association (JAMA), 300(13), 1551–1565.
Critique 3 : "Elle est longue et coûteuse."
Les cures psychanalytiques sont parfois perçues comme inaccessibles à beaucoup, tant par leur durée que par leur coût.
Réponse : Il est vrai que la psychanalyse classique peut représenter un investissement important. Toutefois, ce cadre propose un espace où l’on peut explorer en profondeur ce qui nous traverse, en prenant le temps de relier nos expériences actuelles à notre histoire personnelle et en s’appuyant sur nos propres mots. Elle se distingue par son engagement dans un travail de compréhension et de transformation durable, adapté à la singularité de chaque individu. Par ailleurs, des dispositifs publics (CMP, hôpitaux) proposent des prises en charge d’orientation psychanalytique, financées par la sécurité sociale ou à coût réduit.
Critique 4 : "Elle se focalise trop sur le passé."
Certains considèrent que l’insistance sur les conflits infantiles ou les souvenirs refoulés limite son efficacité face à des problématiques actuelles.
Réponse : La psychanalyse explore effectivement l’histoire personnelle du sujet, car cette dernière influence ses comportements actuels. Cependant, elle ne se limite pas au passé. Elle interroge aussi les enjeux actuels en les reliant aux conflits psychiques sous-jacents.
Critique 5 : "Elle véhicule des perspectives dépassées."
Réponse : La psychanalyse, depuis ses origines avec Sigmund Freud, a constamment évolué pour s'adapter aux transformations sociétales et aux avancées des sciences humaines. Jean Laplanche, avec sa théorie de la séduction généralisée, a proposé une refonte majeure des concepts freudiens, offrant une perspective renouvelée sur la formation de l'inconscient et les dynamiques de genre. Son ouvrage Nouveaux fondements pour la psychanalyse (1987) reste une référence clé, en montrant comment la psychanalyse peut intégrer des questionnements contemporains.
Plus récemment, dans l'ouvrage Sexe et genre, contre la normativité en psychanalyse, Claire-Marine François-Poncet (2022) explore les interactions entre psychanalyse et études de genre. Il met en lumière la capacité de la psychanalyse à déconstruire les normes et à réfléchir aux identités sexuelles et de genre dans leur pluralité. Ce travail démontre que la psychanalyse ne se limite pas à des cadres obsolètes, mais qu’elle contribue activement aux débats actuels.
Des contributions contemporaines au sein de la Société Psychanalytique de Paris (SPP) montrent également comment la psychanalyse continue de s’interroger sur les enjeux de genre et d’identité. Ces travaux soulignent que la discipline reste un espace de réflexion critique, capable de penser les mutations sociétales tout en offrant des outils pour comprendre les transformations subjectives dans un monde en perpétuel changement.
Sources :
Laplanche, J. (1987). Nouveaux fondements pour la psychanalyse. Paris : PUF.
François-Poncet, C.-M. (2022). Sexe et genre, contre la normativité en psychanalyse. Paris : Hermann.
Société Psychanalytique de Paris : www.spp.asso.fr/
Pourquoi la psychanalyse reste pertinente aujourd’hui ?
Une réponse aux souffrances modernes
Face aux troubles contemporains tels que le burn-out, l’anxiété, l’isolement social ou encore l’hyperconnectivité, la psychanalyse offre une lecture approfondie qui articule deux niveaux :
Une exploration des mécanismes intrapsychiques déployés par le sujet pour y faire face, souvent de manière inconsciente.
Une critique des mécanismes sociétaux et culturels participant à la genèse de ces souffrances.
Contrairement aux approches strictement sociologiques ou comportementales, la psychanalyse s’attache à comprendre comment ces enjeux collectifs trouvent un écho singulier dans la psyché de chaque individu, tout en travaillant sur les conflits intrapsychiques et les angoisses qui se manifestent dans des contextes modernes.
Exemples :
Écoanxiété et nouvelles angoisses existentielles : L’écoanxiété, cette angoisse liée à la destruction de l’environnement et à l’incertitude quant à l’avenir, est un exemple contemporain de l’activation de conflits intrapsychiques profonds. Des études, comme celles de Panu Pihkala (Anxiety and the Ecological Crisis, 2020), montrent que ces angoisses réactivent des fantasmes inconscients de perte ou de catastrophe. La psychanalyse, en offrant un espace pour élaborer ces angoisses, permet de travailler sur les représentations intimes et souvent refoulées qui les amplifient.
Source :
Pihkala, P. (2020). Anxiety and the Ecological Crisis: An Analysis of Eco-Anxiety and Climate Anxiety. Sustainability, 12(19), 7836.
Phobies scolaires et troubles anxieux chez les jeunes : Les phobies scolaires, souvent interprétées comme des réponses à des contextes stressants, révèlent en psychanalyse des conflits intrapsychiques profonds, liés par exemple à des attentes parentales ou à des peurs inconscientes face à la séparation. François Marty, dans L’adolescence, la grande épreuve (2010), montre que ces manifestations anxieuses sont souvent des façons pour l’adolescent de gérer des tensions identitaires et des conflits liés à son histoire personnelle. Grâce à un travail sur les conflits inconscients liés à ces symptômes, la psychanalyse aide les jeunes à construire une meilleure relation à eux-mêmes et à leur environnement.
Source :
Marty, F. (2010). L’adolescence, la grande épreuve. Paris : Dunod.
Burn-out et souffrance au travail : Christophe Dejours, dans Souffrance en France : La banalisation de l'injustice sociale (1998), analyse le burn-out non pas comme une simple défaillance personnelle, mais comme le résultat d’une pression systémique à la performance et à l’évaluation constante. La psychanalyse, en explorant les impacts de ces logiques sur la subjectivité, permet aux patients de mettre en mots la souffrance tue ou déniée, souvent liée à des mécanismes inconscients tels que l'idéalisation du travail ou la peur de l'échec. Par la parole et l’analyse, le patient peut se réapproprier son vécu et trouver des solutions qui ne passent pas uniquement par l’adaptation au système.
Source :
Dejours, C. (1998). Souffrance en France : La banalisation de l'injustice sociale. Paris : Seuil.
Dejours, C. (2000). Travail, usure mentale. Paris : Bayard.
Pourquoi la psychanalyse est-elle efficace ?
La psychanalyse, par son approche centrée sur l’inconscient, se distingue dans la prise en charge des souffrances modernes :
Explorer les racines inconscientes : Quelles que soient la nature et la forme du symptôme, la psychanalyse identifie les conflits refoulés qui les intensifient.
Nommer les angoisses : Ce qui est diffus et terrifiant devient formulable à travers le processus d'élaboration (mise en lien des éprouvés avec des représentations qui donnent du sens aux vécus), permettant ainsi de diminuer son emprise.
Réorganiser l’intrapsychique : En mettant en lumière les mécanismes inconscients, elle permet une transformation profonde du rapport au monde et aux angoisses.
Une série d'ouvrages explore les contributions de la psychanalyse dans divers domaines.
Exemple : Ce que les psychanalystes apportent à l'université
Cet ouvrage, fruit de la contribution de 60 universitaires français et internationaux, défend la pertinence scientifique de la psychanalyse en montrant comment elle continue d’élargir les savoirs et les pratiques professionnelles. À travers des recherches sur des problématiques actuelles – telles que l’évolution des modèles familiaux, le genre, le handicap, ou les nouvelles techniques thérapeutiques – il met en lumière la créativité et la fécondité de la psychanalyse dans un cadre interdisciplinaire, renforcée par des collaborations scientifiques nationales et internationales.
Éditeurs : Alain Ducousso-Lacaze, Pascal-Henri Keller
Publication : Éditions Érès, 2021
Cet ouvrage illustre la vitalité et la pertinence de la psychanalyse dans divers secteurs de la société contemporaine. Vous pouvez retrouver par ailleurs un entretien de Pascal-Henri Keller paru récemment dans la revue Carnet Psy et dans lequel il s'exprime sur son cheminement de pensée sur la question psychosomatique, inspiré par une trentaine d’années de pratique clinique et de recherches psychanalytiques.
Un espace d’écoute unique
À une époque où tout va vite, la psychanalyse offre un temps pour soi, sans jugement ni pression d’objectif. Cette neutralité et cet espace d’élaboration intérieure restent précieux.
La psychanalyse : ses forces et limites
Forces :
Une éthique de la singularité, en s’adaptant à chaque sujet.
Une exploration en profondeur, offrant des transformations durables.
Limites :
Une durée et un investissement qui demandent de la disponibilité.
Un cadre qui peut ne pas convenir à des attentes de solutions rapides.
Conclusion : un outil toujours moderne
La psychanalyse, loin d’être un vestige du passé, est une discipline en constante évolution, capable de répondre aux questions complexes de notre époque. Elle offre un espace unique pour explorer les dimensions inconscientes des souffrances humaines, en prenant en compte la singularité de chaque sujet et en articulant passé et présent. Dans un monde qui valorise la rapidité et la performance, elle rappelle l’importance de prendre le temps de penser et d’élaborer ce qui nous traverse. En ce sens, la psychanalyse reste une méthode profondément humaine et actuelle, essentielle pour comprendre et transformer les défis intimes et sociétaux contemporains.
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